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mardi 17 février 2009

Citation des "Inconnus"


« Il ne faut jamais prendre les gens pour des cons mais il ne faut pas oublier qu’ils le sont ».

Les inconnus.

Extrait d'un article du "Monde", par Olivier Oullier.

POINT DE VUE
Le "neuromarketing" est-il l'avenir de la publicité ? par Olivier Oullier
LE MONDE | 24.10.03 | 13h50

Une nouvelle discipline émerge aux Etats-Unis : le "neuromarketing". Son but ? Mieux appréhender et comprendre le fonctionnement du cerveau des consommateurs pour accroître l'efficacité des campagnes publicitaires. Dans un pays où les dépenses de publicité ont dépassé les 100 milliards de dollars en 2002 (Forbes Magazine, janvier 2003), les enjeux sont tout simplement colossaux.

Pour mieux saisir ces enjeux, revenons un siècle en arrière. En 1904, le psychologue Walter Dill Scott écrivait déjà : "L'homme d'affaires avisé doit comprendre le fonctionnement des esprits de ses clients et savoir les influencer efficacement en appliquant la psychologie à la publicité."

Incontestablement, depuis cette assertion, le monde de la publicité a adopté de nouvelles méthodes relevant jusque-là de la seule recherche en psychologie. Aujourd'hui, à l'instar de la psychiatrie, l'avenir de la publicité serait lié à celui des neurosciences. Cette nouvelle direction, apparue il y a quelques années seulement aux Etats-Unis, est en plein développement : plusieurs laboratoires de recherche dans le domaine des sciences du cerveau se voient désormais sollicités par l'industrie afin de contribuer au développement des méthodes du marketing de demain.

Les récents progrès des procédés d'imagerie par résonance magnétique (IRM) ne sont d'ailleurs pas étrangers à cet intérêt grandissant pour les neurosciences. Le prix Nobel de physiologie et de médecine 2003 vient très récemment d'être attribué à l'Américain Paul Lauterbur et au Britannique Peter Mansfield pour leur contribution au développement de ces techniques d'imagerie par résonance magnétique. Celles-ci permettent aujourd'hui non seulement de "photographier" le cerveau dans un espace à trois dimensions avec une grande précision, mais aussi d'enregistrer et de localiser son activité au cours du temps, grâce à l'IRM dite fonctionnelle (IRMf).

Au regard de ces nouvelles possibilités, les échanges se multiplient entre industrie et spécialistes en neurosciences. Les collaborations ont tout d'abord été confidentielles, afin d'évaluer la faisabilité des projets. Une étape importante a été franchie en juin 2002 avec la création de la première entreprise américaine de neuromarketing à Atlanta, non loin du siège de Coca-Cola. Cet institut privé propose de réaliser des études sur mesure pour les grandes compagnies afin de mieux connaître le fonctionnement du cerveau des consommateurs.

Le principe de ces études est le suivant : il est demandé à un échantillon représentatif de consommateurs volontaires de répondre à un questionnaire permettant d'identifier leurs préférences sur des produits et sur des marques spécifiques. L'activité de leur cerveau est ensuite enregistrée pendant que sont projetées des images de produits, modèles ou activités correspondant ou non à leurs goûts. Les résultats montrent que le degré de préférence (pour un produit donné par exemple) pourrait ainsi être observé dans des régions précises du cerveau. A terme, il s'agit d'identifier les mécanismes cérébraux qui sous-tendent la décision d'achat. Disposant de telles données, il serait possible de créer une nouvelle génération de campagnes publicitaires beaucoup plus ciblées, a fortiori si une telle perspective est scientifiquement validée.

Pour l'heure, la communauté scientifique reste somme toute assez dubitative. Tout au plus parle-t-on de "participation" d'une partie du cortex préfrontal médial aux mécanismes de préférence. Une telle prudence est en partie due aux limites actuelles du neuromarketing. Nous pouvons en citer trois.

Tout d'abord, des limites technologiques : l'IRMf est encore en plein développement.

Ensuite, des limites méthodologiques : le cerveau de consommateurs isolés au sein du laboratoire est analysé en l'absence de toute contrainte sociale. Or il a été scientifiquement établi que tout comportement découle des interactions entre un individu et son environnement. Les mécanismes de préférence et de décision d'achat n'échappent pas à ce fait.

Enfin, des limites de connaissances en neurosciences, puisqu'à ce jour il n'existe aucune étude scientifiquement reconnue établissant un lien univoque entre le fonctionnement d'une aire cérébrale et un comportement aussi complexe que la décision d'achat.

Par ailleurs, les doutes ne sont pas uniquement émis en termes de critères scientifiques. Les questions d'ordre éthique et moral sont nombreuses. Le spectre d'Orwell plane à tel point qu'aucune compagnie n'a pour l'instant publiquement admis avoir recours au neuromarketing.

Si la boîte de Pandore est finalement ouverte, il reviendra aux législateurs de trancher quant à la légalité du recours à de telles études. A ce jour, il existe clairement un vide juridique concernant l'application des neurosciences à des fins non médicales. L'aspect international de la publicité pourrait ici constituer un frein majeur à une harmonisation juridique sur une telle utilisation.

Du 8 au 12 novembre, la ville de La Nouvelle-Orléans accueillera plus de 20 000 chercheurs pour la conférence annuelle organisée par la prestigieuse Société des neurosciences. Les premiers résultats d'études de neuromarketing y seront confrontés à la communauté scientifique, marquant incontestablement une nouvelle étape dans son développement.

Le neuromarketing, image subliminale ou véritable révolution commerciale ? Quoi qu'il en soit, un siècle après Walter Dill Scott, le phénomène est bel et bien en marche aux Etats-Unis. L'Europe et l'Asie seront les prochains marchés.

olivier oullier est chercheur en neurosciences au center for complex systems and brain sciences de la Florida Atlantic University (Boca Raton, Etats-Unis)